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La baie d'along

18 août 2005

Traversée mouvementée

Une première traversée mouvementée en mer de Chine sur un Landing Craft Infantry.

Après quelques jours à la caserne Francis Garnier face à la rivière Saïgon, en attente de mon affectation, fin septembre 47 j’embarquais sur un LCI, transport de troupe pour débarquement, en direction du Tonkin pour rejoindre les Forces amphibies du Nord.

L’engin, chargé de nous transporter, avait été également bourré de caisses de munitions encombrant toutes les places disponibles, y compris le poste d’équipage où nous dormions. Nous fîmes sans problème, le trajet inverse sur la rivière de Saigon afin de rejoindre la pleine mer en profitant du calme des eaux du fleuve pour prendre notre déjeuner sur la plage avant du bateau, sans nous soucier cette fois de tireurs isolés. Le repas se terminait à peine, nous arrivions au Cap St Jacques et prenions la mer, lorsqu’une vague déferlante assez forte balaya notre table, les gamelles, les assiettes et tout ce qui se trouvait là, pour l’envoyer par dessus bord. Je récupérai in extremis une fourchette afin pouvoir manger pendant le reste du voyage dans une boite de conserve en guise d’assiette.

Mais il était écrit que nos ennuis ne devaient pas s’arrêter là. La météo comme on le sait n’est pas une science précise ou bien notre commandant l’aurait-il mal interprétée avant le départ ? Toujours est-il que nous commençâmes à nous faire secouer copieusement.

Le LCI n’est pas un navire de haute mer, plutôt conçu pour les débarquements par temps calme sur des plages. Sa structure en tôles soudées à la hâte, commença à souffrir et craquait comme une vieille peau à chaque passage d’une vague à l’autre. Je m’étais réfugié au PC radio car plus question de se faire bronzer sur le pont. De toute façon, la nuit approchait et la mer devenait de plus en plus forte. En fait, nous traversions une queue de typhon dont l’épicentre venait de ravager le nord Annam et une partie du Tonkin.

Pendant la nuit, la situation s’aggrava. Les caisses de munitions arrimées tant bien que mal au départ, et plutôt mal que bien, finirent par se promener dans le poste d’équipage risquant de blesser quelqu’un et pourquoi pas d’exploser, ce qui, sans jeu de mot, aurait été le bouquet. J’en récupérai comme je pouvais pour les ré-arrimer, mais les mouvements et les secousses du bateau eurent vite fait de remettre tout en désordre. Impossible de dormir là dedans. De toute façon, mon tour de veille approchant, je montai sur le pont et entrai dans la chambre de barre non sans me faire doucher au passage, puis par l’échelle extérieure, j’entrepris l’escalade du bloc passerelle pour rejoindre la baignoire de la 12,7, point le plus haut du navire servant de vigie. Si vous savez ce qu’est le centre de gravité, cet endroit en était bien loin à mon gré. Le camarade que je remplaçai, me fit sans un mot, le signe pouce en bas, puis disparut dans la nuit pour essayer de récupérer un peu de sommeil.

J’eus vite fait de comprendre. A peine installé, je pris un bout de cordage et m’attachai à la rambarde pour ne pas passer par dessus bord. C’est à ce moment que la mitrailleuse, mal fixée, pivota sur son socle et m’attrapa l’épaule sur son passage. Heureusement, plus de peur que de mal, mais je me demandais ce que je faisais là, car la nuit était noire comme l’estomac de Jonas . Je distinguais tout juste les extrémités du LCI balayé par des vagues énormes, que les feux de mat éclairaient à peine comme pour ajouter au lugubre de la nuit. Un sentiment de solitude et d’une certaine angoisse commença à m’envahir. La tempête sur le Joffre dans l’océan indien, me parut zéphyr à côté. Lorsque le LCI montait dans une vague pour retomber ensuite dans le creux, je pouvais voir les deux extrémités de la coque onduler sous le choc. Nous n’avancions pratiquement plus, les moteurs arrivant à peine à pleine puissance, à faire garder le cap face au vent. Je n’ose penser à ce qui se serait passé si nous étions partis par le travers d’une lame.

Les deux heures de quart, dans mon perchoir, me parurent une éternité. A chaque passage d’une vague à l’autre, je croyais notre bateau au bout de sa résistance. Mais je suppose que mon ange gardien veillait et qu’il entreprit de nous faire terminer la nuit sans dommage autre qu’une large déchirure d’un bon mètre au milieu de la coque.

Au lever du jour, la mer un peu moins forte, nous permit de nous rapprocher de la côte et trouver un abri dans la baie de Cam Rhan. Sur les huit moteurs, quatre avaient rendu l’âme, et l’intérieur du LCI était dévasté par les caisses de munitions dont aucune, heureusement n’avait explosé.

Plus question de continuer notre voyage pour le Tonkin dans ces conditions. Le lendemain, avec une meilleure météo, mais un ciel toujours bas et bien gris, le transport "Ile d’Oléron" vint nous recueillir pour une traversée de retour sans histoire jusqu’à Saïgon, laissant là notre malheureux LCI qui dut attendre sa réparation pour reprendre la mer.

Finalement, j’arrivai au Tonkin mi-octobre 1947, profitant de la rotation vers le Nord d’une vieille connaissance, le croiseur Tourville. J’allais enfin découvrir la baie d’Along, dont le nom au charme exotique avait depuis mon entrée dans la marine, suscité en moi des idées de voyages et certainement joué un grand rôle dans ma décision de venir voir de plus près à quoi ressemblait l’Indochine.

Didier Vidal

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18 août 2005

En route pour l'Indo

LE MARECHAL JOFFRE.

La traversée.

Après cette permission, trop courte surtout au gré de Maman, je rejoignis le 5ème dépôt à Toulon, pour y recevoir tous les sacrements du parfait colonial, vaccins divers, habillement spécial, consignes de prudence concernant les relations " rapprochées " avec les autochtones du sexe opposé, etc. ...

Nous étions au mois d’août, la chaleur était bien au rendez-vous de cet été 47. Un peu pour nous mettre dans l’ambiance et nous acclimater au changement de latitude.

Notre paquebot, le "Maréchal Joffre", une vieille

 

carcasse datant des années 30, nous apparut énorme au bout du quai de la Joliette, lorsque nous arrivâmes jusqu’à lui par le train de Toulon. Une coque toute noire, comme cela se faisait à l’époque, des cheminées carrées, ne lui donnait pas une allure très gaie. Je sus plus tard qu’il subit une cure de rajeunissement dans les années 50, en lui supprimant une cheminée, et sa coque fut peinte en blanc. Mais nous ne partions pas pour la croisière des millionnaires. Ce qui se confirma très vite une fois à bord lorsqu’on nous indiqua notre "suite". Imaginez un compartiment dans le troisième faux pont, sans hublot, un espace d’environ 100 mètres carrés avec des couchettes sur quatre niveaux pour environ 200 poilus.

Un camarade de promotion, avec qui j’avais fait le voyage depuis Bordeaux, m’entraîna aux ponts supérieurs pour rencontrer un ami de ses parents officiers mécanicien à bord.. Celui-ci nous prit sous son aile et à partir de là, ce fut une croisière de première classe ! Repas au carré officiers dont la table garnie des mets les plus fins me fit prendre quelques kilos durant les trente jours du voyage. Petits déjeuner avec croissants, café, chocolat, thé etc... Petit en-cas vers dix heures avec charcuteries diverses, fromage, fruits, vin bouché.

Notre seule compensation à ces agapes fut de laver pour notre hôte quelques chemises ou shorts blancs dont il faisait assez grosse consommation compte tenu de la chaleur et de sa fonction réclamant une tenue impeccable en permanence.

Pour ne pas aller dormir dans le troisième faux pont avec la troupe, nous adoptâmes le pont supérieur avec pour matelas, quelques gilets de sauvetage en kapok. Et ma foi, nous dormîmes comme la belle au bois dormant.

Chaque jour nouveau de ce voyage fut un émerveillement pour moi qui n’avais quitté la France qu’en imagination dans la lecture des romans d’aventures dont j’étais friand.

Des paysages magnifiques se succédèrent, le détroit de Messine, le Stromboli toujours coiffé de son éternel panache de fumée, ensuite l’arrivée à Port Saïd, un port grouillant d’embarcations de toutes sortes à l’entrée du canal de Suez dont le nom évoquait déjà l’exotisme de l’Arabie et que Ferdinand de Lesseps baptisa lors de sa construction, du nom du roi d’Egypte Mohamed Said, ami de sa jeunesse lorsqu’il était vice-consul à Alexandrie.

Dès l’ancre jetée, des barques égyptiennes entourèrent le navire, comme autour de tous les autres cargos attendant le pilote pour leur tour de passage. Ces barques s’agglutinèrent autour du Maréchal Joffre en s’entrechoquant l’une à l’autre. Leurs propriétaires savaient reconnaître les transports de troupes dont l’interdiction de descendre à terre faisait de leurs passagers une clientèle en or.

Le pont des embarcations, recouverts de bibelots et de produits de pacotille, représentaient pour nous un éventail de souvenirs potentiel. Le marchandage verbal étant quasi impossible à cause de la distance et des cris, les transactions s’effectuaient par gestes. Puis, l’accord conclu, les billets descendaient et la marchandise montait à l’aide d’un petit panier accroché au bout d’une corde lancée par le marchand. .

Je ne possédais pour toutes devises, que des roupies indiennes de peu de valeur que la marine généreuse nous avait distribuées juste avant le départ. Quelle ironie, puisqu’il n’était pas prévu d’escale aux Indes. Cela coupa court à mes velléités d’achat.

Pourtant, sur le pont d’une barque, j’aperçus un objet qui excita mon envie. Un poignard à lame recourbée dont le manche métallique représentait un pharaon ou un personnage antique. Le marchand repéra de suite mon regard et me montra l’objet qu’il tira de son étui pour faire briller la lame au soleil en m’indiquant le prix sur ses doigts. Je lui fis signe que je n’avais pas la somme, mais peut-être accepterait-il de l’échanger contre ma montre ? offerte pour mon certificat d’études, sans lui dire que celle-ci n’indiquait plus l’heure exacte depuis longtemps.

. Après moult gestes explicatifs, il accepta le troc mais voulut voir la montre avant en la faisant descendre par le panier.

Méfiant, je refusai et demandai au contraire à voir la marchandise. Avide de faire une bonne affaire, il finit par faire monter le poignard, que j’évaluai de peu de valeur, mais ce métal moulé faisait son petit effet. Je lui descendis la montre en observant sa réaction. Cette scène que j’aurais aimé filmer lorsqu’il examina la montre, la secouant pour écouter le mouvement s’arrêtant toutes les dix secondes, restera toujours pour moi un gag inoubliable. Il leva enfin la tête, se mit à vociférer en me montrant le poing et en prenant les autres marchands à témoin.

A voleur, voleur et demi, me dis-je, la montre réparée valait le double de son poignard, mais je m’étais bien amusé. L’objet est toujours en vue sur une étagère de mon bureau pour me rappeler l’anecdote.

Très tôt, le lendemain matin, le " Joffre" appareilla pour la traversée du canal. Tous les passagers, civils comme militaires, étaient déjà sur le pont afin de ne pas manquer le spectacle toujours passionnant du paysage de la côte qui défile, et là, la côte était presque à portée de main de chaque côté du navire. Le bateau avançait lentement, vitesse limitée à 8 nœuds environ, guidé par le pilote entre les berges de cet ouvrage fabuleux. Creusé au milieu du désert entre 1859 et 1869, séparant deux continents d’une soixantaine de mètres. Côté Egypte, une route longe la berge, où circulaient de temps à autre, un véhicule ou une moto de l’armée anglaise. Sur l’autre rive, côté Sinaï, le désert n’offrait aux regards qu’une étendue de sable à perte de vue. Parfois, une caravane de chameaux, pardon, de dromadaires, déambulait au rythme lent des méharis sur la route de la Mecque.

Toutes ces images se trouvaient conformes à mes rêves d’adolescent. Il m’arrivait même, l’esprit en vadrouille, de me demander si tout cela était bien réel. Mes impressions de ce voyage doivent sembler puériles, mais imaginez celles du premier cosmonaute débarquant sur la lune ou de Livingstone découvrant les chutes du Zambèze.

Alors que notre adolescence puisait dans la lecture des images virtuelles, la civilisation moderne nous offre aujourd’hui par la télévision et autres médias, une profusion d’images du monde entier. Nous sommes blasés à tel point que la découverte d’un pays ne nous étonne plus, avec la sensation d’avoir " déjà vu ça quelque part ".

A mi parcours, le Joffre jeta l’ancre dans le lac Timsah près d’Ismaïlia, petite station balnéaire que les Anglais aménagèrent en centre de repos pour leurs hauts fonctionnaires et les riches commerçants de Suez, Alexandrie, Port Saïd ou Le Caire. Des canots automobiles tirant des skieurs nautiques vinrent tourner autour du bateau. Nous ne perdions pas une miette du spectacle, un tantinet envieux de ce luxe dont nous étions privés et qui, pour nous petits militaires, représentait "l’inaccessible étoile ". Parfois même, une jeune skieuse en maillot, venait au ras du navire, narguer ces bataillons de privés d’amour qui tiraient une langue d’une aune en la suivant des yeux.

De mon perchoir marin, j’observai les villas luxueuses entourées de magnifiques pelouses bien vertes qui tranchaient avec l’arrière paysage du désert.

Ces grands lacs formaient et forment toujours, une gare de transit pour les navires montant et descendant, ne pouvant se croiser dans le canal. Les uns venant du sud, de la mer rouge, les autres du nord, de Port Saïd.

Lorsque vint notre tour, le Joffre leva l’ancre une nouvelle fois pour finir sa traversée du canal et entrer dans la mer rouge un des endroits les plus chauds de la planète. Son nom provient de la couleur rosée qu’elle prend près des hauts fonds couverts de coraux, mais pour nous, le rouge signifiait chaleur.

Elle devint bientôt étouffante, et à l’heure du zénith, celle-ci nous écrasait comme sous une chape de plomb. Le léger courant d’air ambiant créé par le déplacement du navire, n’apportait que peu de fraîcheur. Les marins du bord arrosaient pourtant en permanence les ponts surchauffés à l’aide de lances d’incendie approvisionnées à l’eau de mer. Malgré cela, nous attendions avec impatience le coucher du soleil pour sécher la moiteur de nos corps.

Le spectacle des poissons volants, les exocets, sortant d’une vague en vol de groupe pour replonger parfois à plusieurs mètres dans une autre, me fascinait. Je restais des heures à les observer, ainsi que le jeu des dauphins précédant la proue du navire, comme un défi, semblant nous dire

< Nous sommes plus rapides que vous >

Et ils n’avaient pas de mal avec notre vieux rafiot.

Djibouti sur le territoire de la côte française des Somalis, fut notre première escale et la seule du voyage nous permettant de nous dégourdir les jambes sur le plancher des vaches. A cela une raison évidente, un transport de troupe n’est pas un paquebot de croisière, et la nature des passagers dictait aux autorités de prendre les précautions nécessaires pour éviter des incidents diplomatiques avec un pays dont la guerre coloniale d’Indochine n’aurait pas été en odeur de sainteté. Djibouti, territoire français, permettait cette petite escapade.

A cette époque, l’accès aux quais en eau profonde pour des navires de ce tonnage étant impossible, le "Joffre " dût rester en rade à quelques encablures. On nous transporta en plusieurs navettes, sur de vieux chalands en bois tirés par des chaloupes à moteur non moins préhistoriques, servant surtout à transborder le ravitaillement, vivres, mazout, etc... Un grand panneau de bois surmontait le chaland, où l’on pouvait lire une recommandation, grossièrement peinte en rouge

" Ne laissez pas traîner vos mains dans l’eau, attention, requins >

La mer, d’une grande limpidité, offrait la possibilité d’admirer des fonds superbes avec l’envie de piquer une tête pour se rafraîchir un brin, ce dont ne se privaient pas les petits somaliens plongeant du quai pour récupérer les piécettes lancées par les passagers. Ils les piégeaient souvent d’une main sûre avant qu’elles n’atteignent le fond. Nous nous amusions d’observer ces petites peaux noires contrastant dans les eaux claires.

Je découvris une ville africaine, sale, mal équipée. Rares, les rues revêtues d’asphalte, résistant mal à la chaleur somalienne. Les places en terre battue, étaient parsemées de flaques d’eau ramollissant le sol, le transformant en un cloaque boueux, dans lequel venaient se désaltérer mouches et autres moustiques. Traversant plus tard d’autres pays tropicaux du même genre, ce détail ne me choqua plus du tout.

Il fait très chaud à Djibouti dont le nom, selon certains marins pleins d’humour, proviendrait de la contraction argotique " j’y bout ici ". Pour nous rafraîchir, 2 ou 3 cafés dont le célèbre " Palmier en zinc " connu des marins du monde entier, nous vendaient une affreuse bière ou un pastis à l’eau saumâtre, à des prix faramineux. Quel contraste avec les villes coloniales anglaises, traversées de belles avenues propres et agrémentées de parterres de gazon bien vert. Mais j’étais heureux, pourtant, de retrouver les images de la Somalie décrites dans les romans de Monfreid et autres aventuriers.

Après notre départ, nous apprîmes que trois légionnaires désertèrent en se jetant à l’eau lors de notre attente dans le lac de transit près d’Ismaïlia. En échange, quelques somaliens passagers clandestins, furent découverts après l’appareillage de Djibouti, cachés dans une embarcation de sauvetage. Mais le Joffre naviguait déjà en plein océan Indien.

Au passage du Cap Guardafui, la corne de l’Afrique comme on l’appelle, une bonne tempête nous attendait qui dura deux jours. Le navire plongeait dans des vagues énormes qui balayaient le pont avant, complètement vidé de ses occupants habituels, elles venaient s’écraser contre le château et la passerelle de commandement. Plus question bien sûr de prendre des bains de soleil. Des ponts inférieurs où tout ce petit monde s’était réfugié, montaient des relents d’odeurs dont je vous laisse supposer l’origine, car les trois quarts des passagers étaient malades.

L’océan Indien représentait pour notre NGV, sept à huit jours de navigation sans voir une terre. Parfois seulement, une fumée de cargo croisé sur la route de Colombo, coupait la monotonie du voyage.

Mais la mer, si on la regarde bien, est un spectacle permanent. Un jour, lisant à l’ombre d’un canot de sauvetage, les jambes pendantes par dessus bord, j’aperçus une masse sombre qui nous suivait à quelques mètres du bateau. Un cétacé énorme d’au moins quinze mètres de long nous accompagnait. Un cachalot apparemment. Je l’observai médusé, impressionné par la taille de l’animal offrant son dos noir au soleil. Il nous suivit pendant quelques minutes, puis sa route s’écarta de la nôtre et brusquement il plongea dans un bouillonnement d’écume. Les marins du bord me confirmèrent que ces rencontres étaient fréquentes dans les parages.

Après cette semaine de navigation sans autre fait marquant, la côte nous apparut au petit jour. Lentement le navire s’avança vers le grand port de l’île de Ceylan, entouré comme à chaque escale par une multitude d’embarcations de toute sorte : chaloupe du pilote, et barcasses de marchands de pacotille comme à Port Saïd. Le Joffre s’encra en rade pour faire son ravitaillement en vivre et carburant, débarqua quelques passagers et nous restâmes également.... en rade.

Je ne connus Colombo et son arrière pays, Ceylan, que lors de mon deuxième voyage en extrême orient avec le paquebot Félix Roussel en 1952. J’avais alors, un passeport civil qui me permit de débarquer quelques heures et jouer au touriste.

Ce fut enfin Singapour, le détroit de Malacca où notre route tangentait l’équateur, puis le terminus au Cap Saint Jacques à l’entrée de la rivière de Saigon, dans le delta du Mekong.

C’était le 13 septembre 1947 après 28 jours de mer.

16 août 2005

La perle de la mer de Chine

Escale en baie d’Along.Fin septembre 1947 . Après deux ou trois semaines de transit à Saigon, et ma désignation pour les forces amphibies du nord je profitais d’une rotation du croiseur TOURVILLE, une vieille unité des années trente, pour enfin pouvoir découvrir cette baie d’Along dont mes camarades ayant déjà fait le voyage, évoquaient son nom avec nostalgie dans leurs conversations .

Son nom, au charme et à la consonance exotique, avait certainement joué un rôle dans ma décision de me porter volontaire pour ce pays déchiré par une guerre longue et sanglante, l’INDOCHINE .

Les communiqués des journaux de l’époque n’étaient pas accompagnés de photos comme nous les connaissons aujourd’hui et de toute façon, leur mauvaise qualité d’impression ne nous donnait qu’une idée vague des paysages. J’imaginais donc une immense plage de sable fin bordant une baie en demi-lune où les cocotiers se balançaient au gré du vent marin avec en toile de fond, la ville d’Haïphong qui, comme tout port qui se respecte se trouve sur la côte.

Aujourd’hui, le voyageur arrivant sur un site peut se dire :

- "  J’ai déjà vu cet endroit " . Oui , sur les magnifiques photos de catalogues d’agences de voyages !

Au matin du troisième jour, sachant que nous devions être en vue des côtes, je me levai au petit jour pour profiter du spectacle extraordinaire et toujours nouveau de l’apparition d’une terre sur l’horizon. Sensation grisante de la découverte et du mystère entourant cette ligne grise qui émerge des eaux.

Qui sont les hommes qui l’habitent, comment vivent-ils ? Ils dorment maintenant. Certains vont travailler, d’autres font l’amour, des enfants se serrent contre leur mère, un chien aboie dans une cour parce qu’un coq chante à côté.

En débouchant sur le pont avant, je remarquai que le Tourville avait ralenti sont allure. L’étrave fendait doucement les flots sans soulever sa paire de moustache. Nous avancions entre de gros rochers en forme de pain de sucre de quarante à cinquante mètres de hauteur, espacés de trois à quatre cent mètres, parfois plus et couverts d’une épaisse végétation.

Cet ensemble de grosses masses sortant de l’eau me fit penser à un dédale de colonnes énormes d’un immense temple englouti dont seul le sommet émergeait. Mais où donc était ma baie d’Along ?

Lorsque notre route tengeantait de plus près l’un de ces rochers, on pouvait entendre les cris perçants de petits singes qui se balançaient joyeusement et sautaient de branches en branches. Ils y en avait des centaines. C’est également sur ces rochers, je l’appris plus tard, que les sampaniers de la baie venaient recueillir les nids d’hirondelles de mer servant à confectionner de délicieuses soupes. En trouve-t-on encore aujourd’hui, ou bien sont-ce des nids d’hirondelles d’élevage utilisés par nos chinois du 21ème siècle ?

Voici la baie d’Along telle que je l’ai découvert et qui malgré le peu de ressemblance avec celle de mon imagination, m’émerveilla par son imposante et étrange disposition dans le golfe du Tonkin.

Une légende chinoise raconte qu’un dragon très en colère aurait creusé de grands trous en frappant le sol avec sa queue et que l’eau aurait envahi ces espaces ne laissant apparaître que les extrémités de ce paysage chaotique. ( On écrit maintenant : baie de Halong, qui signifie : celui qui vit sous la mer)

Après quelques instants de navigation entre ces rochers , notre bâtiment stoppa et jeta l’ancre au milieu d’une zone plus dégagée d’un ou deux kilomètres de diamètre. Notre voyage touchait à sa fin.

Il ne s’écoula pas plus d’une demi heure que, surgissant d’on ne sait où, des sampans entourèrent le bâtiment, manœuvrés avec une dextérité de vieux bosco, le plus souvent par une femme ou un enfant se tenant debout à l’arrière pour pousser un aviron articulé au bord du sampan sur un épieu de bois et fixé par une tresse de fibres de coco. Leur façon de ramer me fit penser à celle des gondoliers de Venise . Mais ne serait-ce pas eux qui auraient copié cette méthode comme ils l’ont fait pour les spaghettis sur des informations rapportées par Marco Polo ? ? ?

Ils arrivaient maintenant de partout. Qui les avait informé de notre arrivée ? Certaines embarcations plus volumineuses étaient recouvertes d’une toiture en demi tonneau formée de lattes de bambou tressé, sous laquelle vivait toute la famille et où tout était rangé . A l’avant, dans le fond de son bateau , sous le plancher, le sampanier gardait un peu d’eau de mer servant de vivier pour conserver le fruit de sa pêche excédentaire pendant plusieurs jours. Les ustensiles de cuisine rudimentaires était en fer forgé grossièrement, ou de bambou patiné par le temps. Quelques bols pour manger le riz en porcelaine de Chine évidemment, mais tout ébréchés. Les femmes et les hommes étaient vêtus de toile de coton noir délavée par le soleil et la pluie. Seuls les enfants vivaient encore pratiquement nus à cette saison .

Les sampans s’agglutinèrent le long de la haute carcasse grise du croiseur et se balançaient mollement au gré de la houle en se heurtant à chaque mouvement de la mer, émettant un bruit continu de bois qui se choque et de crissement d’avirons dans leur tolet de cordage. Les matelots du bord blasés de ces haltes au mouillage, ne prêtaient pas attention a ce remue-ménage. Moi, je n’en perdais pas une miette .

Depuis des siècles ces habitants de la mer vivent en quasi permanence sur leur sampans et jadis, faisaientt de ce labyrinthe de rochers une forteresse naturelle où ils pouvaient se protéger des éventuels pirates chinois qui pillaient les côtes de la mer de Chine .

Pour l’heure, une coupée fut amenée le long du bord par laquelle je vis monter un étrange personnage débarqué d’un des sampans. Un petit homme d’une cinquantaine d’années, la peau tannée par le soleil, vêtu d’un short sans couleur bien définie, d’une chemise blanche bien propre, des claquettes aux pieds et coiffé d’une casquette crasseuse de second maître . Il fut accueilli par le maître commis aux vivres avec qui il eut une longue conversation agrémentée de forces gestes.

J’appris le fin mot de cette visite par un matelot du bord . Il m’expliqua que l’homme était le chef ou le représentant des sampaniers dont la fameuse casquette, qu’il portait fièrement comme un amiral venant de recevoir ses étoiles, représentait sa fonction . Il venait à bord de chaque bateau mouillant dans cette rade pour marchander des échanges de poisson, ou du corail contre des produits de vie courante comme le savon, du tabac, du riz, des légumes qu’ils ne pouvaient acheter sans être obligé de naviguer jusqu’à Hongaï , la ville la plus proche distance de plusieurs nautiques.

En revenant quelques mois plus tard sur ce même mouillage avec mon LCT , le chef avait changé, détrôné par un petit malin qui lui, portait une casquette d’enseigne de vaisseau  dont les galons brillaient au soleil ! ! !

Notre voyage se poursuivit sur un LCI jusqu’au port de Haïphong par un bras du fleuve rouge , le Cua cam . Le dernier typhon venait de traverser le pays et une vision de désolation nous attendait à chaque coude du fleuve. Des sampans brisés jonchaient les rives, des paillotes décoiffées de leur toiture et, le plus extraordinaire, un Liberty ship drossé sur la rive à plus de cinquante mètres du bord gisait légèrement couché dans les terres.

Le port me rappela celui de Cherbourg après la libération . Une ville triste et grise par ses maisons souvent moitié en ruines des effets des bombardements successifs, japonais , français . Le crachin de la mousson qui s’était mis à tomber rendait ce décor encore plus morne.

Après une affectation d’un an aux Forces amphibies nord, notre LCT descendit au sud pour un grand carénage . Je débarquai pour une autre affectation d’un an à Mytho, petite cité du delta du Mékong à une centaine de kilomètres au sud ouest de Saigon , dont je garde un souvenir merveilleux de soleil, de sérénité, de luxuriance, et où je fis plus ample connaissance d’un peuple que j’admire .

A HYERES , le 17 septembre 2001 . Texte tiré de mes mémoires de voyages . Didier VIDAL

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